Amaicha del Valle, où la nature et le silence ne font qu’un…

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Amaicha del Valle, où la nature et le silence ne font qu’un…

Sur la route du désert de Tio Punco( Amaicha del Valle) | Photo : A. Labadie

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Je pensais savoir ce qu’est une rivière, je pensais savoir ce qu’est une pierre, je pensais savoir ce qu’est le vent. Et puis je suis arrivée à Amaicha del Valle, un village du Nord Ouest Argentin, dans la province de Tucuman.

Le vent dans les cactus

J’ai écouté le vent entre les cactus, deviné la marque d’une eau invisible entre les rochers, contemplé un brouillard de poussière formé par une bourrasque. Les ruisseaux sont vides à Amaicha, ce ne sont que des lits de galets entre lesquels il reste une terre fine et encore humide. L’air entre les cactus: un son aigu, comme un appel des altitudes. Je comprends qu’il faut s’arrêter et l’écouter. Ma région d’origine dans le Sud de la France est souvent balayée par des rafales puissantes et folles. Le vent des vallées Calachaquies est différent. On dirait qu’il a quelque chose à raconter. » Notre frère huayra* nettoie tout, me dit-on. C’est le divan des Amaichas, nous n’avons pas besoin de psychanalyste». Il suffit de passer quelques jours dans le village pour apprécier l’existence dans ses détails les plus fondamentaux: le mystère unique d’un brin d’herbe sur les bas-côtés de la route, une cascade cristalline entre des rochers, le battement de la vie palpable dans le silence des grands espaces.

Il suffit de passer quelques jours dans le village pour apprécier l’existence dans ses détails les plus fondamentaux: le mystère unique d’un brin d’herbe sur les bas-côtés de la route, une cascade cristalline entre des rochers, le battement de la vie palpable dans le silence des grands espaces.

Le désert et la vie

Nous partons pour une excursion au désert de Tio Punco, nous faisons une halte quelques kilomètres après le village. Nous descendons du 4×4 et continuons jusqu’au sommet d’une petite colline. C’est du sable, un sable fin et doré, qui crisse sous nos pieds. La végétation est rare mais d’un vert profond. La dune n’est pas très haute et pourtant de là nous avons une vue panoramique des alentours. D’un côté, les «cumbres calchaquies» culminent à plus de 4000 m d’altitude et de l’autre, les montagnes de Quilmes forment un autre barrière rocheuse. Entre les deux s’étend une plaine immense, d’une légère couleur mousse. C’est le territoire ancestral des Amaichas, peuple originaire appartenant à la nation diaguita. L’été est la saison humide de la vallée et a été exceptionnellement pluvieux cette année. Notre guide est émerveillé des teintes vertes de l’horizon et des vaches qui descendent des villages voisins pour paître. Moi, je ne peux pas m’empêcher de regarder les crêtes et la étendue plate interminable vers le Sud. Une fois encore l’infini du paysage argentin m’interpelle et me touche.

Je continue ma contemplation, le reste du groupe commence déjà à faire demi-tour. Je suis la dernière à descendre de la côte. Je me rapproche de la voiture et je me rends compte que les autres se sont réunis en cercle, les yeux rivés au sol. Je n’arrive pas à comprendre leurs paroles mais quelque chose sur la piste a attiré leur attention. Je jette un coup d’oeil par dessus l’épaule de l’un deux. Ce sont des empreintes de Suri, ou ñandu andin, un animal de la famille des autruches, qui est en voie de disparition. Ce secteur est un des rares territoires qu’il leur reste. Il y a quelques années cette piste faisait partie de la course du Paris-Dakar et depuis, le moindre bruit de moteur les éloigne. Les marques indiquent la présence d’adultes et de leur petits. Nous remontons dans le véhicule, silencieux. J’ai l’impression de commettre un sacrilège si je prononce un seul mot. J’explore le paysage à travers la fenêtre, fascinée.

Les seigneurs de la terre

«Ils sont là-bas!» La voix me tire de mon monologue intérieur. Je ne distingue rien dans un premier temps. Les suris sont des oiseaux très grands, mais qui se camouflent grâce à leur couleur mimétique. Mes yeux s’habituent peu à peu aux différents tonalités de la terre, de la végétation et des minéraux. Je vois au loin des éclats gris, ils bougent, apparaissent, disparaissent et se perdent dernière une colline. L’euphorie s’empare de tous. » Quelle chance, les filles, c’est exceptionnel de les voir!! «Notre guide gare la jeep et nous tentons de nous approcher de l’autre côté de la butte derrière laquelle ils se sont enfuis… Je marche sur la pointe des pieds mais je sens les battements de mon coeur frapper si fort dans ma poitrine que je crains qu’ils ne me délattent. Les trois suris sont là, à 100 mètres. Je suis la deuxième à passer la tête au dessus du talus. Eux ont déjà perçu notre présence et ils s’enfuient à une vitesse incroyable, avec un mélange de force et d’élégance. Leurs pattes puissantes les poussent loin, leur long cou se balance et le mouvement ondulé de leur corps agitent les plumes grises et blanches de leur queue. Le temps s’arrête, je ne suis plus qu’yeux, qu’oreille, pure contemplation. Ils partent se réfugier dans un petit bois de caroubiers. Bientôt je ne distingue plus qu’un simple nuage de poussière, dernier témoignage de leur présence.

Mon coeur se remplit d’une paix profonde. Je devine la présence invisible de la nature. Rendre hommage à la Pachamama, c’est un état de constante gratitude.

Quand nous arrivons enfin au Désert de Tio Punco, Don Paco, un abuelo de la communauté, nous reçoit chez lui pour dîner. Au coeur d’une nuit étonnamment étoilée, tandis que nous regardons le firmament et que le vieil homme nous raconte sa terre, son enfance et sa vie culinaire, mon coeur se remplit d’une paix profonde. Je devine la présence invisible de la nature, des éléments qui la constituent. «Rendre hommage à la Pachamama*, ce n’est pas une religion c’est une question d’attitude face à la vie, c’est être dans un état de constante gratitude» me dira quelques jours plus tard une tisseuse du village. C’est ainsi. Dans un endroit comme celui-là, où chaque goutte d’eau est un miracle, chaque mouvement de la vie une adaptation perpétuelle à un environnement hostile, il ne reste plus qu’à lâcher prise et être profondément reconnaissant.

* Huayra : mot quechua pour «vent»

* Pachamama : Madre tierra, terre nourricière

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