3 moments quotidiens, 5 détails qui indiquent l’arrivée de l’été à Buenos Aires. Avant de lire cette chronique, installez-vous à l’ombre avec un bon rafraîchissement ou une glace à l’eau. Ces quelques lignes vont vous faire fondre de chaleur…
Je regarde les ongles de mes orteils, satisfaite. Ce vernis framboise est beaucoup plus joli que le rose pétale que j’avais choisi en premier lieu. Avec ces nouvelles sandales, on dirait que mes pieds sont des petites créatures joyeuses et colorées. Aujourd’hui, j’inaugure ces chaussures et une jupe d’été pour aller faire une course au centre-ville. L’air sur mes jambes nues est une sensation délicieuse, à laquelle je n’avais pas goûtée depuis longtemps. Une moto pétarade derrière moi. Le feu est passé au vert et toutes les voitures accélèrent en choeur, la dernière, plus pressée que les autres, donne deux ou trois coups de klaxon fébriles. Les bâtiments sont hauts et les rues étroites. Beaucoup de béton sur une superficie réduite: la chaleur est plus concentrée ici que dans n’importe quel endroit de la ville.
Je choisis un trottoir plus à l’abri du soleil, où les balcons donnent un peu d’ombre. Une goutte tombe sur mon bras. Je lève la tête en pensant qu’il s’agit peut-être d’un pigeon. Je ne vois rien. Ce n’est que l’eau. Une deuxième goutte sur le poignet. Je regarde en l’air une fois de plus. La troisième goutte est en chemin et je la reçois juste au coin de l’oeil droit. Je secoue la tête, surprise. Sur chaque balcon je distingue une caisse métallique et un fin tube blanc qui sort de la façade. Les climatisations distribuent de l’air frais aux employés des bureaux et de l’eau tiède aux piétons.
Je continue à marcher et les gouttes continuent à tomber. Sur mon épaule, sur mon cou, sur mon menton…
Je continue à marcher et les gouttes continuent à tomber. Sur mon épaule, sur mon cou, sur mon menton, sur mon front… A chaque fois, je m’essuie rapidement avec la main, pour me défaire de cette sensation involontaire de saleté. Mes orteils framboises se promènent sur des petites flaques qui se forment sur le trottoir. Non pas de l’eau stagnante, mais de l’eau qui glisse petit à petit et laisse une longue marque noire sur les jointures des dalles, entre les petits carrés du revêtement.
Ces gouttes d’eau, cette bruine sans nuages sont l’annonce de l’été à Buenos Aires. Plus tard viendra la surconsommation et les coupures de courant. Le système électrique de la ville n’est pas fait pour satisfaire une telle avidité de fraîcheur.
Le soleil est déjà haut quand je sors de la maison, mais ce n’est pas ce qui surprend le plus ma peau. Marcher sur le trottoir c’est comme entrer dans un nuage de vapeur, comme si à chaque pas, je pénétrais un peu plus à l’intérieur d’une cocotte minute. L’humidité tiède enveloppe tout et, en quelques secondes, je ne suis plus que sueur. Pur liquide qui coule entre mes omoplates. Maintenant c’est midi et je suis sur le chemin du retour. C’est l’heure de la sieste.
Je traverse le coeur du quartier de Parque Chas, loin des grandes avenues. Tout est immobile, comme en suspens. Il n’y a pas d’ombre dans ce quartier à l’architecture traditionnelle, seulement des maisons basses, avec des toits terrasse, toutes différentes et similaires à la fois. Je ne vois personne. On devine seulement la présence humaine par une porte entrouverte, la rumeur d’un balai contre un sol, une radio allumée. Je jette un regard curieux à travers une fenêtre ouverte. Au fond, derrière la salle obscure et fraîche, j’aperçois la clarté d’un patio aux murs blancs, rempli de lumière et de plantes. Et je suis prise d’une envie subite de m’y installer, entre les pothos, et de somnoler sur une chaise longue.
Maintenant, les cigales sont tranquilles, elles ont l’habitude de chanter à l’heure de la sieste. Même si elle ne le font pas toujours, ici, en ville. Les cigales de Buenos Aires sont différentes de celles du sud de la France. Elles chantent une seule fois, un cri long qui monte comme une sirène. Mais quand elle s’y mettent elles sont également entêtantes. La nuit est en train de tomber et elles se sont tues. Malgré la température que dégage encore la chaussée, l’air est doux et tiède.
Les cigales de Buenos Aires sont différentes de celles du sud de la France.
Je suis en train d’arroser les plantes de ma terrasse. Le géranium blanc est mon point de référence dans la semi obscurité. A cette heure-ci, le boulanger d’en face a fermé le magasin, il a installé des chaises sur le trottoir et il s’est réuni avec les voisins. J’entends leur voix, des rires, un enfant qui court et pousse des cris aigus. Le basilic que je viens d’arroser me remercie avec son parfum et il se mélange avec celui de la menthe que je viens de toucher du bout des doigts.
Une légère brise se lève, un vent à peine perceptible. Elle charrie d’autres rires, d’autres voix, il y a d’autres personnes sur leur balcon même si je ne peux pas les voir de là où je suis. Mais surtout elle charrie ce fumet, cette odeur de viande grillée. Sans savoir pourquoi, celle me rend contente. Cela me rappelle les vacances et la saucissonnade des fêtes de mon village. A Buenos Aires c’est l’odeur de l’été par excellence, l’odeur de la ville quand le temps est au beau. Et le climat est plutôt clément ici.
Facebook Comments