La première fois que j’ai goûté à la viande argentine

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La première fois que j’ai goûté à la viande argentine

Le fameux asado argentin dans un restaurant | Photo : Antonio García

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Un moment important pour un étranger à Buenos Aires, c’est celui où l’on mange une grillade (el asado), la spécialité culinaire la plus connue de l’Argentine. Depuis que je vis ici, j’en ai vécu quelques unes, la plus mémorable ce fut pour un Premier de l’An avec un mouton cuit a la cruz (voir la dernière photo ci-dessous). Dans cette chronique, je vous raconte comment s’est passée la première fois que j’ai goûté à la viande argentine. C’était peu de temps après m’être installée dans la capitale.

Le mini grill avec les braises brûlantes est posé sur la table, accompagné du plat de frites dont j’avais si envie. Le monticule de viande cuit toujours et la graisse sur le feu laisse échapper un crépitement joyeux et inégal.

– Chut, chut, écoute!  es el canto de la carne…

L’argentin qui m’invite est fier de m’initier à la culture gastronomique de son pays. Il a commandé une grillade complète à partager. Une institution, la grillade. Au menu? de la viande, et seulement de la viande! En entrée, on mange les achuras. Je ne connais pas ce mot et je m’étonne qu’il y a un ordre précis pour déguster l’asado.

-Le chinchulín mmmh… c’est mon préféré, m’explique mon initiateur argentin.

Je souris de son enthousiasme, amusée par ce nom qui m’est inconnu, car inusité en Espagne, et dont la sonorité ne m’inspire que tendresse et affection. Chinchulín… pourrait avoir comme équivalent français disons… chouchoubidou… Les Argentins auraient-ils développé un attachement si particulier à leur grillade au point de lui donner des petits noms amoureux? Je me penche sur la fourchette qui me tend le fameux morceau. Cela ressemble à un calamar frit. C’est un peu gélatineux, mais avec une saveur marquée et insistante en final de bouche. Mon sourire se transforme alors en une drôle de moue. Je regarde une fois de plus du côté du grill et je reconnais la forme de la seconde entrée. Un ovale sombre comme un gros haricot: serait-ce…. un rein?

En une seule bouchée, on sent la vache, la transpiration des hommes qui l’ont élevée, l’herbe des prairies de la Pampa…

Les mots trompent

Achuras, chinchulín… Ce sont des mots d’origine quechua qui s’utilisent en Argentine et dans quelques pays voisins pour désigner les abats et les tripes. Je comprends mieux maintenant cette consistance gélatineuse et cet arôme si caractéristique.

-N’y aurait-il pas de la viande plus normale? finis-je par demander timidement, un peu écoeurée par cette forte odeur à tripaille.

Je passe donc au plat de résistance: la tira de asado. Ce sont des côtes, non pas coupées dans la longueur mais dans la largeur, ce qui implique un minimum d’os et un maximum de viande. L’ensemble est assez gras. Et cette friture crépitante transporte toujours ces relents d’intestins. Les frites tant espérées ne font en fait qu’en rajouter davantage. Cependant, cette viande… quelle viande! Pour qui l’apprécie, c’est un peu comme l’expérience de la volaille fermière ou du gibier. En une seule bouchée, on sent la vache, la transpiration des hommes qui l’ont élevée, l’herbe des prairies humides de la Pampa… Mais ce jour là c’est un peu trop pour moi.

Et tandis qu’à l’issue de cette expérience, je songe sérieusement à me convertir au végétarisme, je vois le visage déçu de l’Argentin qui m’accompagne. Tu n’as pas aimé? tu n’as mangé que les côtelettes et tu as laissé le meilleur…  Je me sens penaude de n’avoir pas apprécié. Je n’avais pas été informée de ces détails viscéraux auparavant et j’en déduis que mes papilles n’étaient encore prêtes à tant de remue-ménage.

C’est avec un verre de vin illicite et un morceau de boeuf au nom poétique que j’ai compris pour la première fois la grandeur de la viande argentine.

Epilogue: la deuxième chance

Quelques semaines plus tard, nous revoilà installés à la terrasse d’une parrilla, un restaurant de viande. Cette fois-ci je sais d’avance que je vais prendre de la salade en accompagnement et que je vais éviter les abats. Face à la liste interminable des morceaux, je choisis au hasard un Bife Mariposa, Beef Papillon: juste parce que le nom me plaît. On commande du vin rouge. Le serveur accepte à la condition de cacher la bouteille sous la table pour que la police ne la voit pas. L’Argentin qui m’accompagne lui fait un signe entendu, devant ma mine interloquée :

– Je ne savais pas qu’il était illégal de boire du vin en terrasse ?
– Bien-sûr que c’est autorisé mais aujourd’hui c’est particulier. C’est la veille des élections et il est interdit de vendre de l’alcool.

Je n’oublierai jamais cette curiosité argentine. Car c’est donc ainsi, avec un verre de vin illicite et un morceau de boeuf au nom poétique que j’ai compris pour la première fois la grandeur de la viande argentine. Sans os au milieu qui exacerbe le goût, tendre et moelleux malgré l’épaisseur du morceau.

Depuis, je n’ai plus jamais goûté au chinchulin et aux reins.  Je ne connais toujours pas les noms des différents morceaux et à la boucherie je n’ose acheter que des steaks hâchés ou du poulet par peur de me tromper. Et surtout, j’ai laissé tomber ma conversion végétarienne: je ne veux pas rater les barbecues entre amis!

Le mouton cuit «a la cruz». | Photo: A. Labadie

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