» Allez Allez dépêche-toi »
Ma grand-mère Mimi me pressait un peu. Elle venait d’étirer la pâte et m’avait chargée de la découper en petits ronds. Pour une raison qui m’est aujourd’hui inconnue, j’imaginais que c’était des bulles de savon et je m’appliquais d’une drôle de façon à accomplir ma mission. Elle me grondait, étrangère à mes rêvasseries d’enfant et ne comprenait pas pourquoi je mettais tant de temps à décider où poser le verre qui me servait d’outil. L’empressement de la cuisinière prévalait sur n’importe quel imaginaire infantile. Elle, elle devait penser aux horaires de repas, au temps de cuisson, à la prochaine réunion du troisième âge, à Question pour un Champion en fin d’après-midi. Qu’est-ce que j’en savais moi de ces choses sérieuses qui lui passaient par la tête, à Mamie ! Moi, la seule chose qui me tenait à coeur c’était de faire de jolis dessins!
Ensuite, nous recouvrions chaque pièce de pâte avec de la chair à saucisse, la pliions en deux et fermions les bords avec une fourchette. Cela donnait des demi-cercles fourrés, aux extrémités décorées de petits bâtons. Pour moi, les bulles de savons se transformaient alors en ailes de papillons. (C’est étrange, je me souviens encore parfaitement des détails, des formes et des volumes). Après, je prenais le rôle de simple spectatrice et assistait à la cuisson. Pour cela, ma grand-mère utilisait à peine un peu d’huile et une poêle très ancienne au large manche en bois, profonde, lourde, et surtout recouverte d’une improbable couche de charbon à l’extérieur, sûrement accumulée par les emplois successifs sur les flammes. Une poêle comme seulement on pouvait trouver chez elle et qui est restée mythique dans la famille. Enfin, elle déposait chaque pièce une fois frite sur un papier sopalin. En général, c’était à ce moment-là que j’y mettais les doigts, malgré l’interdiction formelle, et je terminais par me brûler un peu car je voulais croquer dedans.
Pour la petite française que j’étais alors, préparer des rissoles avec ma grand-mère était toute une aventure.
Pour la petite française que j’étais alors, préparer des rissoles avec ma grand-mère était toute une aventure. C’était une spécialité de la famille. Je ne sais pas si la recette est passée à la postérité , mais à cette époque, c’était le privilège total de Mamie. A mon souvenir ni ma mère, ni mes tantes ne les préparaient. Il me semble que mes camarades d’école ne connaissaient pas non plus ce plat. D’ailleurs, ils fronçaient les sourcils quand je leur en parlais. En faisant des recherches sur Internet, j’ai découvert qu’il s’agit d’une recette traditionnelle de la région de Grenoble. Je ne sais pas si elle est très courante là-bas. En tous cas, dans la région de Carcassonne, les rissoles étaient un peu extravagantes et moi je les adorais. Nous avions l’habitude de les manger avec de la salade car la friture était un peu lourde à l’estomac, et je présume que c’était la raison pour laquelle ma mère n’en faisait pas. La farce n’était rien d’autre que de la viande, avec beaucoup de poivre, et leur donnait un goût un peu piquant, semblable à celui d’un saucisson. La pâte était dorée, moelleuse à l’intérieur et d’un croustillant impeccable à l’extérieur. Je ne sais si c’était grâce aux talents de ma grand-mère ou à la fameuse poêle. Mon oncle Jean-Pierre a toujours dit que les oeufs au plat préparés dans cette relique étaient unique et il regretta le jour où elle disparut des placards, il y a déjà quelques années.
» Coucou Mamie! Je viens te voir avec ma copine française «
Stefi a déjà passé la porte et je la suis de près.
Geli, bon pied bon oeil, n’a même pas 80 ans. Attablée dans sa cuisine, elle semble très occupée, mais je n’arrive pas à distinguer ce qu’il fait. Cela doit faire quelques heures qu’elle est ainsi. En face d’elle, un plateau avec les mêmes chaussons de mon enfance et un saladier rouge rempli de viande hachée, persil et d’autres ingrédients que je n’identifie pas. A côté, il reste encore de la pâte. Le four est allumé et l’odeur indique qu’il doit y avoir un autre plateau en train de cuire. Cette grand-mère mène la recette des rissolles à un niveau beaucoup plus industriel que la mienne.
– Ooh vous faites des empanadas, je peux regarder comment vous faites?
La dame n’utilise pas de fourchette mais ferme les bords avec les mains et cela attire mon attention. Je m’assieds en face d’elle, fascinée par la précision du geste, rapide et habile. Elle rie un peu.
– Pff je ne fais rien d’extraordinaire
Elle a le ton de la cuisinière expérimentée qui ne voit plus les difficultés car elle maîtrise parfaitement la technique.
– Tu veux le faire? Regarde comment je fais le repulgue
Ainsi, j’apprends que le geste habile porte même un nom: repulgue et elle me le montre une fois encore en détaillant chaque étape. On dirait qu’elle tresse la pâte. Ce joli dessin aurait largement éveillé mon imagination dans mon enfance. Mais maintenant j’ai presque 30 ans et je me mords la langue pour me concentrer et fermer le chausson en bonne et due forme. Le résultat est rustique, plat et sans grâce. Je me retrouve rapidement les mains vides: il ne reste plus de pâte. J’éclate de rire et Geli aussi. J’aurais encore besoin d’entrainement pour réussir de belles empanadas.
J’apprends que le geste habile porte un nom: repulgue et elle me le montre une fois encore en détaillant chaque étape.
Pour apprendre la technique du repulgue, découvrez toute la recette des empanadas en français dans cet article de Maba blog, le guide de l’aventure des francophones à Buenos Aires.
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