Belén Pasqualini a accepté de me parler de sa grand-mère Christiane Dosne, née en France, qui est arrivée à Buenos Aires à 22 ans pour travailler avec Bernardo Houssay (chercheur Prix Nobel de médecine en 1947). Au delà d’une simple histoire d’immigration, c’est le récit d’une vie hors du commun. Christiane a été pionnière en recherche médicale, et a dirigé d’importants travaux de recherche en hématologie et en particulier la leucémie. C’est la première femme à entrer à l’Académie Nationale de Médecine, elle a continué à travailler jusqu’à 82 ans. Cette année, elle a fêté ses 99 ans.
Belén a donc grandi avec une grand-mère pas comme les autres qui l’emmenait jouer dans son laboratoire et lui faisait prendre soin de ses rats, pour lesquels elle avait beaucoup d’affection. Contrairement à la majorité de sa famille, Belén ne s’est pas consacré à une vie de scientifique: elle est actrice et chanteuse. En hommage à son aïeule, elle a écrit et interprète un spectacle intitulé «Christiane, un biomusical científico» qui a obtenu un franc succès à Buenos Aires mais aussi lors de tournées nationales et internationales.
Elle est née en 1920 à Saint Denis, dans la banlieue de Paris. Elle était l’aînée de 4 enfants. Son père était ingénieur chimiste. Quand elle avait 6 ans, il a obtenu un poste de travail au Canada et la famille a donc déménagé à Hawkesbury [entre Ottawa et Montréal]. La famille est revenue en France un temps quand elle avait 12 ans. Mais pour ma grand-mère ça n’a pas été une bonne expérience, car on se moquait d’elle, on se moquait de son accent. Elle a un peu pris la France en grippe et s’est plutôt attaché au Canada. Elle est ensuite entrée en médecine à l’Université MacGill [à Montréal.] Elle était interne pendant la semaine et elle rentrait le week-end dans le village de sa famille.
Christiane est arrivée en Argentine en 1942 en pleine Seconde Guerre Mondiale. Elle est arrivée en bateau depuis le Canada. Elle était étudiante en médecine expérimentale sur les conseils de son tuteur Hans Selye. (c’est un chercheur reconnu par la suite pour ses études sur le stress. C’est lui qui a inventé ce terme «stress») Elle a ensuite postulé à une espèce de Bourse que l’on donnait aux femmes canadiennes,pour travailler avec le docteur argentin Bernardo Houssay. Une semaine après, elle apprend qu’elle a gagné la bourse mais, comme c’était la guerre, on lui recommande de ne pas aller en Argentine et de choisir sa deuxième option à l’université de Yale aux Etats-Unis. Le père de Christiane était assez aventurier, il avait voyagé à Buenos Aires l’année précédente et ça lui avait beaucoup plu. Lui et Hans Seye lui ont dit » pas question, il faut que tu ailles en Argentine car ce sera probablement la seule chance de ta vie d’aller là-bas» Voilà comment elle est venue seule à Buenos Aires pour travailler comme assistante de Bernardo Houssay [médecin argentin qui a gagné le Prix Nobel de Médecine en 1947]
C’est un peu son éducation ses parents l’ont éduqué de manière assez libre. Le père l’a poussé et l’a soutenu dans sa démarche, la mère était plus sentimentale. Mais bon, chez elle on disait la maison se construit là où l’on est et qu’il faut être libre. Bien-sûr, sa personnalité a forcement joué: il fallait un sacré caractère pour partir seule à 22 ans dans un autre pays.
Non, elle ne s’est jamais posé la question. En 1944 à 24 ans elle décide de se marier avec mon grand-père, qui est argentin. Ils font une espèce de pacte: elle lui demande de ne jamais s’opposer à sa carrière professionnelle et lui en échange lui fait promettre qu’ils vivront toujours à Buenos aires. Et ils ont tenu cette promesse jusqu’au bout.
Elle adore manger du fromage et elle en a toujours chez elle, bien à la française. Et une chose qu’elle n’a jamais perdu c’est le R français, la manière de prononcer les R quand elle parle espagnol.
Oui, elle me parle de la France, bien-sûr. Mais c’est vrai qu’elle insiste plus sur le Canada, sur son enfance là-bas. Quand elle parle de la France, elle évoque plutôt ses parents et ses grands-parents: où ils ont vécu, comment ils se sont rencontrés etc…
Non, je crois que rien de spécial… Enfin si, l’amour pour le fromage! Et des recettes de cuisine: la brandade, la bouillabaisse, les profiteroles au chocolat… Elle m’a toujours dit qu’elle les tenait sa mère , à moi elle en me les a jamais apprises, même si j’ai toujours insisté pour qu’elle le fasse.
C’était l’image que lui avait transmise son père qui avait voyagé à Buenos Aires un an auparavant. Ça lui avait semblé un endroit exotique, les gens chaleureux, un peu à l’inverse de ce qui se passait au Canada. Donc il y avait un certain enthousiasme de la part de Christiane d’aller en Amérique du Sud, de découvrir la vie latinoaméricaine, un peu plus festive.
Elle est arrivée à Buenos Aires et elle a adoré la ville. Ce qui a attiré son attention c’est comment les gens se regardent dans la rue. Les hommes sans aucun type de pudeur pour regarder les femmes, c’était quelque chose de nouveau pour elle et ça lui plaisait. Au Canada ça ne fonctionnait pas comme ça. Quand elle marchait dans la rue et qu’un homme lui disait un piropo, un compliment, ça lui semblait bizarre mais ça la faisait rire et ça lui plaisait. Elle est allée vivre dans une pension de famille avec huit hommes étudiants. Et ils s’amusaient car ils lui apprenaient des mots en argot, en lunfardo. Et après elle parlait comme ça à Bernardo Houssay sans savoir bien ce qu’elle disait. C’était une drôle de situation pour s’adresser à son directeur si prestigieux.
Probablement ce qui lui a le plus coûté c’est le manque de ponctualité, car elle, elle est très ponctuelle.
Oui elle, elle se sent argentine par dessus tout. D’ailleurs quand elle est arrivée en bateau elle a renoncé à la nationalité française. C’était en pleine guerre et on lui a dit qu’il fallait qu’elle laisse tous les documents qui pourraient la compromettre. Elle l’a fait.
Je suis allée à Paris. Je ne suis pas allée jusqu’à Saint Denis car j’avais peu de temps, mais j’en avais très envie. Je me suis sentie un peu comme chez moi. J’ai rencontré des cousins qui m’ont amené dans leur village et nous avons fait un repas de famille. C’était chouette, beaucoup de fromage, nous avons mangé la couronne des rois avec la fève qui te fait gagner la couronne. Mais je sens quelque chose de français en moi, quand j’y réfléchis j’ai quand même 25% de sang français. C’est un pays pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Chaque fois que je me mets un béret je pense à Paris.
Christiane, biomusical científico
Seule sur scène avec son piano, Belén joue le rôle de sa propre grand-mère, nous raconte son histoire et rend hommage à son travail de médecin chercheur, entre rires et émotion.
La pièce a gagné 3 Prix Hugo ( meilleur livret de comédie musicale, meilleures paroles de comédie musicale, meilleur spectacle de comédie musicale one man show)
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Christiane Dosne de Pasqualini, Quise lo que hice. Autobiografía de una investigadora científica, 2007, Ed. Leviatán
Voici une interview en vidéo de Christiane et Belén Première partie I et Deuxième partie II
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