Mars 2014
Je viens de demander à une dame où se trouve l’arrêt de bus du nº 71 mais je n’ai pas vraiment compris sa réponse. Je suis arrivée la veille à Buenos Aires et Fran, mon hôte, m’a confié cérémonieusement sa carte de transport en me disant: » Tu verras ce n’est pas difficile, si tu es habituée aux villes européennes, tu ne peux pas te perdre dans Buenos Aires. » Je n’en suis plus très sûre après mon échange avec cette dame. » C’est à Olazabal et Triunvirato » m’a t- elle répondu avec un vague signe de la main dans une direction. » Olazabal et Trunvirato » me répète le monsieur à qui je demande pour la deuxième fois. Je ne sais pas ce qu’est «Olazabal», «Triunvirato», c’est le triumvirat? Devant ma mine désespérée le monsieur comprend qu’il doit s’y prendre autrement. «C’est là-bas, où il y a le Kentucky, tu vois là-bas? » Le kentucky? Autre regard perdu de ma part. » Le Kentucky, la pizzeria, là? » Aaah… Oui oui, d’accord. Je me dirige vers l’arrêt de bus en me demandant encore quel est le rapport entre la pizzeria et le triumvirat.
Se déplacer dans Buenos Aires, c’est un peu comme déambuler sur une feuille de papier millimétré, c’est un vrai quadrillage.
Mars 2018
«Non, si tu vas sur Córdoba, c’est à gauche à trois cuadras » C’est moi qui vient de prononcer ces mots. Quatre ans plus tard, j’indique à ma copine Lorena, portègne de toujours, quelle direction prendre pour rejoindre son arrêt de bus. Que s’est passé entretemps? Mon initiation fût un long apprentissage du jargon portègne.
D’abord, j’ai compris qu’au quotidien, les portègnes omettent le mot «calle» ou «avenida» et qu’ils se situent en fonction des carrefours. En général si les deux rues sont importantes, ce sont des points de référence dans la ville. Quand il dit » Je vais à Córdoba «, un portègne ne fait pas référence à la ville du centre de son pays, encore moins celle du Sud de l’Espagne. Córdoba, pour lui, c’est l’avenue Córdoba, de la même manière que toutes les artères qui portent des noms de lieux, région ou grande agglomération du pays: Corrientes, Santa Fé, Tucuman. Les noms de rue font aussi référence à des personnages historiques. Bien souvent il y a un basque, et le basque est toujours particulièrement difficile à retenir: Olazabal, Andonaegui, Echeverria, Gurruchaga, Belaustegui etc.
Ici, se promener dans les rues, c’est voyager dans le temps, au coeur de l’histoire nationale, entre les généraux et présidents marquants, les dates importantes, rien ne manque! Ce sont les mêmes noms qui se répètent inlassablement, d’une province à une autre, d’une ville à une autre, même quand elles sont l’une à côté de l’autre, dans la banlieue portègne. San Martin, général de indépendance de l’Argentine, Belgrano, le créateur du drapeau, 9 de julio , 9 juillet 1816, date de la déclaration de l’indépendance ou 25 de mayo, 25 mai 1810, date de facto de l’indépendance etc etc.. 9 de Julio c’est aussi le nom d’une bourgade de la province de Buenos Aires, c’est pour dire! Pas de «rue de la Brêche » et l’anecdote liée à la brêche dans les anciens remparts, pas de » rue des trois visages» faisant référence à une sculpture ancienne sur une façade. Les rues de Buenos Aires manquent énormément de poésie…
Parmi les noms de rue, bien souvent il y a un basque, et le basque est toujours particulièrement difficile à retenir.
» Mais comment tu es venue toute seule? Tu connaissais le quartier? Tu n’as pas eu du mal à trouver? «
Qui n’a jamais testé le dédale des villes européennes ne peut pas comprendre à quel point il est facile de se retrouver dans Buenos Aires. C’est un peu comme déambuler sur une feuille de papier millimétré, un vrai quadrillage. Ces petits carrés, appelés cuadras – équivalent géométrique de notre gastronomique «pâté de maison»- sont de vraies merveilles qui facilitent grandement la vie! Ici la cuadra est l’unité de mesure, même dans un contexte totalement rural, le portègne s’oriente ainsi, il parle du bar qui se trouve à 3 cuadras, et il évalue la distance, lointaine ou non en cuadra et même en media cuadra. Chaque côté de ce carré mesure à peu près 100 mètres, et chacun comporte 100 numéros de maisons. 1 m = 1 numéro. nº 1 à 100 pour la 1ère , nº100 à 200 pour la 2ème etc… A chaque pâté de maison, un panneau indique ses numéros.
» Mais alors comment on fait en Europe? » me demande les argentins à qui j’explique tout ça. «Le nº55 n’est pas forcément en face du nº58, de l’autre côté du trottoir ?» Je ne me souviens pas comment je faisais avant, justement le charme de la vie en Europe c’est que l’on se retrouve dans un vrai labyrinthe, entre vieilles pierres.
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